
Article de Danielle Shelton pour la revue d'arts littéraires ENTREVOUS / numéro 22, juin 2022
La Société nationale du Québec à Laval vous convie, en partenariat avec la Société littéraire de Laval, à des cafés littéraires interculturels.
La revue ENTREVOUS numéro 22, juin 2022, a publié un article, Rendez-vous avec Annouchka Gravel Galouchko et Stéphan Daigle,
article tiré d'un des six cafés littéraires de la série 2022.
Une artiste multidisciplinaire, descendante des fondateurs de Gravelbourg, en Saskatchewan, fille d’une mère québécoise et d’un père né à Paris de parents ukrainien et russe exilés au péril de leur vie afin d’échapper à la violence du régime bolchévique. Le parcours de sa vie tumultueuse a démarré en Égypte pendant la guerre des Six Jours, pour se poser au Québec, à vaudreuil-Dorion, en passant par l’Iran, l’Autriche, le Mexique et la France.
Qui est Annouchka Gravel Galouchko ?
Elle est artiste multidisciplinaire, autrice et conteuse, et lorsqu’elle conjugue ses dessins et ses mots, cela donne, par exemple, les magnifiques albums jeunesse Le Jardin de Monsieur Préfontaine* et Shō et les dragons d’eau *.
Q – Annouchka, quelle est la genèse de ce conte ?
R – Un festival de cerfs-volants à Montréal ! Il y avait un cerf-volant, à mes yeux très particulier : le cervoliste avait enroulé autour de ses reins une longue corde sur laquelle il avait enfilé des découpes de papier blanc en forme d’oiseaux qui, agités par le vent, montaient dans le ciel en une file étincelante. J’ai eu l’impression que chaque oiseau était la vertèbre d’une colonne vertébrale humaine géante tendue vers les hauteurs. Solidement ancré au sol, le cervoliste était très concentré... Le titre de mon conte s’est alors révélé tout naturellement. Bien des cerfs-volants prennent la forme de dragons en Extrême-Orient. J’ai tout simplement utilisé cette tradition pour exprimer les peurs et les démons intérieurs que les habitants d’un ancien village refoulaient dans la mer – symbole de l’inconscient collectif – et je leur ai donné, par l’intermédiaire de la jeune Shō, le courage et la sagesse de plutôt les exposer à la lumière du soleil – symbole de la pleine conscience. Depuis, les dragons s’élèvent joyeusement vers le ciel ! La peur est transformée en joie et en inspiration créatrice : tout cela n’est-il pas merveilleux et plein d’espoir ?
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Lors de la Fête nationale du Québec 2022, Annouchka Gravel Galouchko a participé à une fête de quartier organisée par la Société littéraire de Laval, en partenariat avec le Collectif Écorécoltes et la Société nationale du Québec à Laval. Elle a lu aux petits son album Le Jardin de Monsieur Préfontaine*, et a partagé avec les grands ses sources d’inspiration. voir l’article paru dans ENtREvouS 20, p. 64.
Pour son album jeunesse Shō et les dragons d’eau,* Annouchka Gravel Galouchko a reçu en 1995 un Prix du Gouverneur général du Canada pour les illustrations, et un Ontario Silver Birch Award pour les illustrations et le texte, en plus d’avoir été finaliste au Prix du livre M. Christie récompensant les meilleurs livres pour la jeunesse parus au Canada. À l’international, la France, la Pologne et l’Allemagne ont confirmé la qualité de cet album par une médaille d’argent et des mentions honorables
Annouchka Gravel Galouchko
Shō et les dragons d’eau
Le début du conte
Il y a bien longtemps, au Japon, les gens avaient la mauvaise habitude de jeter à la mer tous leurs cauchemars. Comme ils en avaient peur et honte, ils les enfermaient dans des sacs qu’ils lançaient en cachette dans les vagues.
La mer, très malheureuse, devenait
houleuse. Les sacs ballotés se déchiraient
et des monstres hurlants et déchaînés en sortaient. Ils se dressaient très haut sur la crête des vagues, engloutissant les pêcheurs et leur barque.
Le poisson devenait tellement rare que seuls l’empereur et quelques personnes fortunées pouvaient s’en procurer.
Dans un village côtier vivait une riche famille. Elle avait à son service une petite fille qui travaillait au jardin. Shō avait dû quitter l’école pour aider ses parents à gagner leur pain. Le papa de Shō était pêcheur et comme tous ceux de son village, il était sans travail.
Shō était un véritable rayon de soleil. Elle avait un don : elle savait lire dans les cœurs. Shō pouvait même lire dans le cœur des pierres, tendre malgré ce qu’on en disait.
Bien souvent, les gens du village lui demandaient conseil. Un soir d’été, trois pêcheurs vinrent la trouver.
Ils se confièrent : « La situation dans laquelle nous vivons ne peut plus continuer ; la mer, pleine de démons, est montée contre nous. Au village, c’est la misère [...].
ENTREVOUS •22
______________________________________________________________________________________________________________
Annouchka Gravel Galouchko
Autoportrait en Tsarine et chanson pour la grand-mère russe
Contexte :
Cet autoportrait a paru en tons de gris à la page 37 de la revue Brèves littéraires 85. tout comme le haïsha « tōkyō au Costa Rica » de la page 32 d’Entrevous 21, il attendait depuis 2012 une publication en couleurs qui lui rende justice, d’autant plus qu’au café littéraire, Annouchka Gravel Galouchko a interprété la chanson Nastalghia. Ses mots, sur une mélodie du folklore tzigane, sont un hommage à sa grand-mère russe, Larissa Konopichine, et à son grand-père ukrainien, Ievgueni Galouchko.
Extrait de la chanson Nastalghia
Aie ! Nastalghia, laï, laï, laï ! Aie ! J’ai mal à ta Russie ! Aie ! Louli, louli, louli !
Aie ! J’ai mal à ton Ukraine !
J’aime ton rêve, nostalgique grand-mère Les Tziganes chantaient la vie
Le ciel si clair des yeux de tes pères Faisait l’amour à la terre
Vent des steppes, champs de tournesols Tu buvais l’or fin de ses fleurs
Le cri bleu du rossignol
Troublait le silence de ton cœur
ENTREVOUS •22
La Société nationale du Québec à Laval vous convie, en partenariat avec la Société littéraire de Laval, à des cafés littéraires interculturels.
La revue ENTREVOUS numéro 22, juin 2022, a publié un article, Rendez-vous avec Annouchka Gravel Galouchko et Stéphan Daigle,
article tiré d'un des six cafés littéraires de la série 2022.
Une artiste multidisciplinaire, descendante des fondateurs de Gravelbourg, en Saskatchewan, fille d’une mère québécoise et d’un père né à Paris de parents ukrainien et russe exilés au péril de leur vie afin d’échapper à la violence du régime bolchévique. Le parcours de sa vie tumultueuse a démarré en Égypte pendant la guerre des Six Jours, pour se poser au Québec, à vaudreuil-Dorion, en passant par l’Iran, l’Autriche, le Mexique et la France.
Qui est Annouchka Gravel Galouchko ?
Elle est artiste multidisciplinaire, autrice et conteuse, et lorsqu’elle conjugue ses dessins et ses mots, cela donne, par exemple, les magnifiques albums jeunesse Le Jardin de Monsieur Préfontaine* et Shō et les dragons d’eau *.
Q – Annouchka, quelle est la genèse de ce conte ?
R – Un festival de cerfs-volants à Montréal ! Il y avait un cerf-volant, à mes yeux très particulier : le cervoliste avait enroulé autour de ses reins une longue corde sur laquelle il avait enfilé des découpes de papier blanc en forme d’oiseaux qui, agités par le vent, montaient dans le ciel en une file étincelante. J’ai eu l’impression que chaque oiseau était la vertèbre d’une colonne vertébrale humaine géante tendue vers les hauteurs. Solidement ancré au sol, le cervoliste était très concentré... Le titre de mon conte s’est alors révélé tout naturellement. Bien des cerfs-volants prennent la forme de dragons en Extrême-Orient. J’ai tout simplement utilisé cette tradition pour exprimer les peurs et les démons intérieurs que les habitants d’un ancien village refoulaient dans la mer – symbole de l’inconscient collectif – et je leur ai donné, par l’intermédiaire de la jeune Shō, le courage et la sagesse de plutôt les exposer à la lumière du soleil – symbole de la pleine conscience. Depuis, les dragons s’élèvent joyeusement vers le ciel ! La peur est transformée en joie et en inspiration créatrice : tout cela n’est-il pas merveilleux et plein d’espoir ?
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Lors de la Fête nationale du Québec 2022, Annouchka Gravel Galouchko a participé à une fête de quartier organisée par la Société littéraire de Laval, en partenariat avec le Collectif Écorécoltes et la Société nationale du Québec à Laval. Elle a lu aux petits son album Le Jardin de Monsieur Préfontaine*, et a partagé avec les grands ses sources d’inspiration. voir l’article paru dans ENtREvouS 20, p. 64.
Pour son album jeunesse Shō et les dragons d’eau,* Annouchka Gravel Galouchko a reçu en 1995 un Prix du Gouverneur général du Canada pour les illustrations, et un Ontario Silver Birch Award pour les illustrations et le texte, en plus d’avoir été finaliste au Prix du livre M. Christie récompensant les meilleurs livres pour la jeunesse parus au Canada. À l’international, la France, la Pologne et l’Allemagne ont confirmé la qualité de cet album par une médaille d’argent et des mentions honorables
Annouchka Gravel Galouchko
Shō et les dragons d’eau
Le début du conte
Il y a bien longtemps, au Japon, les gens avaient la mauvaise habitude de jeter à la mer tous leurs cauchemars. Comme ils en avaient peur et honte, ils les enfermaient dans des sacs qu’ils lançaient en cachette dans les vagues.
La mer, très malheureuse, devenait
houleuse. Les sacs ballotés se déchiraient
et des monstres hurlants et déchaînés en sortaient. Ils se dressaient très haut sur la crête des vagues, engloutissant les pêcheurs et leur barque.
Le poisson devenait tellement rare que seuls l’empereur et quelques personnes fortunées pouvaient s’en procurer.
Dans un village côtier vivait une riche famille. Elle avait à son service une petite fille qui travaillait au jardin. Shō avait dû quitter l’école pour aider ses parents à gagner leur pain. Le papa de Shō était pêcheur et comme tous ceux de son village, il était sans travail.
Shō était un véritable rayon de soleil. Elle avait un don : elle savait lire dans les cœurs. Shō pouvait même lire dans le cœur des pierres, tendre malgré ce qu’on en disait.
Bien souvent, les gens du village lui demandaient conseil. Un soir d’été, trois pêcheurs vinrent la trouver.
Ils se confièrent : « La situation dans laquelle nous vivons ne peut plus continuer ; la mer, pleine de démons, est montée contre nous. Au village, c’est la misère [...].
ENTREVOUS •22
______________________________________________________________________________________________________________
Annouchka Gravel Galouchko
Autoportrait en Tsarine et chanson pour la grand-mère russe
Contexte :
Cet autoportrait a paru en tons de gris à la page 37 de la revue Brèves littéraires 85. tout comme le haïsha « tōkyō au Costa Rica » de la page 32 d’Entrevous 21, il attendait depuis 2012 une publication en couleurs qui lui rende justice, d’autant plus qu’au café littéraire, Annouchka Gravel Galouchko a interprété la chanson Nastalghia. Ses mots, sur une mélodie du folklore tzigane, sont un hommage à sa grand-mère russe, Larissa Konopichine, et à son grand-père ukrainien, Ievgueni Galouchko.
Extrait de la chanson Nastalghia
Aie ! Nastalghia, laï, laï, laï ! Aie ! J’ai mal à ta Russie ! Aie ! Louli, louli, louli !
Aie ! J’ai mal à ton Ukraine !
J’aime ton rêve, nostalgique grand-mère Les Tziganes chantaient la vie
Le ciel si clair des yeux de tes pères Faisait l’amour à la terre
Vent des steppes, champs de tournesols Tu buvais l’or fin de ses fleurs
Le cri bleu du rossignol
Troublait le silence de ton cœur
ENTREVOUS •22
Médium :
Procédés mixtes sur porte, transferts de mots à partir d'un portait de l'artiste photographié par Daniel Cuillerier. À noter qu’elle porte un chapeau fait main de l’artiste Stéphan Daigle, son conjoint.
Procédés mixtes sur porte, transferts de mots à partir d'un portait de l'artiste photographié par Daniel Cuillerier. À noter qu’elle porte un chapeau fait main de l’artiste Stéphan Daigle, son conjoint.
Annouchka Gravel Galouchko
Marie-Claire-Blais : une amitié
Marie-Claire Blais a écrit la préface d’Envol imaginaire, la monographie consacrée aux œuvres visuelles – peintures et illustrations – d’Annouchka Gravel Galouchko. Ce beau-livre a paru à Montréal en 1998 aux éditions Les 400 coups.
«Dans sa peinture, ses illustrations, Annouchka Galouchko nous enveloppe, avec ses couleurs chaudes, l’audace de son envol imaginaire, de la beauté mouvante du monde, le monde et ses légendes puisées à toutes les cultures, tous les pays, son inspiration se réchauffant parfois aux nuances somptueuses de l’orient. Comme Chagall qui se sert de la vitalité du folklore juif pour peindre la fable religieuse d’un tableau ou d’un vitrail, Annouchka Galouchko ressuscite le monde ancien et le nouveau en les pliant à ses propres lois de magie et d’envoûtement secret. Elle recrée l’innocence d’un paradis dont elle connaît la précarité, ce paradis toujours sur le point d’être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps, elle unit dans une même harmonie pays merveilleux, hommes et animaux longtemps séparés les uns des autres par un même exil, et dans ce paradis aux intenses chaleurs, de précieuses récoltes croissent pour les générations à venir, la vie éclate généreusement avec l’abondance des fleurs et des fruits, la végétation est, le soir, roussie par ce soleil crépusculaire des paysages d’Émile Nolde ; dans cette fable qui ravit l’œil et le surprend, nous sommes près de ces amants de Chagall frôlant dans un tourbillon de feu et de neige au-dessus de leur ville... une lune, un chat ; les amants d’Annouchka Galouchko portent sur leur cœur un oiseau, ses arbres marchent avec des corps d’hommes, leurs têtes se transforment en brasiers tendant leurs branches fécondées, les tortues, les chiens, les petits chevaux, les ânes et les colombes, les pigeons blancs envahissent les toits des maisons et la verdure des collines, un pommier peut devenir aussi un garçon noir sous un chapeau de paille..., nous sommes éblouis de féeriques images et des sortilèges de ce monde renversé »sous le trait brûlant des couleurs du peintre qui raconte aussi une histoire. [...]
Annouchka Gravel Galouchko
Lettre à Marie-Claire Blais
Contexte :
Un an avant le décès, le 30 novembre 2021, de la grande écrivaine québécoise Marie- Claire Blais, Annouchka Gravel Galouchko lui a écrit une lettre scellant à jamais leur amitié.
Entrevous a le privilège de la publier.
Chère Marie-Claire,
En contemplant certains de mes tableaux, tu as écrit pour la préface du recueil Envol imaginaire consacré à ma peinture, que mon empreinte charnelle faisait vibrer la toile; qu’aux frémissements de joie des corps vivants qui s’enlacent ou se quittent se mêlait une peur sourde, car mes sensuels danseurs au paradis dansent aussi sur un monde en feu. Que je recréais l’innocence d’un paradis dont je connaissais la précarité, un paradis toujours sur le point d’être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps. Que je peignais cette chair rouge des vivants, facilement blessée ; que je peignais ce paradis où s’enflamment les arbres, que leurs têtes se transformaient en brasiers tendant leurs branches fécondées; que je revêtais aussi d’or et de cet insoutenable bleu fondant vers le noir les anges ou les saints, comme d’errantes victimes cherchant leur parcours entre terre et ciel. Ou ce qui fut hier le paradis, pour elles.
Marie-Claire, ce n’est pas peu dire, le mot paradis pour décrire mes œuvres revient cinq fois dans ton texte poétique ! Ébranlée dès mon plus jeune âge par la souffrance du monde, je cherche à me réveiller du cauchemar collectif et à retrouver en moi ce fameux paradis dont je crois que nous avons tous la nostalgie, car au plus profond de nous-mêmes, nous y avons déjà goûté.
Petite fille, je berçais et soignais de mes tendresses enfantines un crucifix que ma famille avait rapporté de Jérusalem. En guise de prière du soir, je le bordais dans une boîte à chaussures transformée en lit douillet. Dans mon cœur d’enfant, le pauvre Christ amoché faisait tellement pitié que je me devais de le guérir et de réparer tout le mal qu’on lui avait infligé.
Je me revois jeune femme dans la vingtaine, concentrée dans la création d’un tableau. Soudainement, une puissance redoutable se réveille en moi. Au moment où mon pinceau trace un grand trait rouge sur la toile immaculée, une flèche me traverse du coccyx à la fontanelle. Ébranlée par son vrombissement le long de ma colonne vertébrale, j’ai la sensation qu’un geyser explose dans mon cerveau et se dissout, étincelant, dans l’infini du ciel. Durant ces quelques instants, je deviens un espace clair et vide.
Ce premier éveil de la kuṇḍalinī*, déclenché en plein acte de création, est si violent que mon mental s’emballe de concert avec mon cœur. Mon corps brûle et tremble de froid tout à la fois. Le souffle du dragon ouvre une brèche dans mon inconscient. Les guerres de l’humanité défilent dans le miroir de ma psyché affolée. D’intolérables scènes guerrières d’avions en flammes et de bombardement affluent dans mon esprit. Dans les pays de l’Est, je subis la crémation. En Inde, je suis l’épouse sacrifiée au bûcher. Au Moyen Âge, sorcière, je deviens torche vivante. Mon corps aspire à lui toutes les flammes du monde.
Dans cette nuit noire de mon âme de peintre, je projette mon trouble sur de très grandes toiles. Le corps nu, enduit de peinture, je m’imprime sur leur blancheur pour tenter de m’enraciner dans la matérialité. Puis dans un besoin impérieux de sentir le prix de l’effort physique, j’attaque des panneaux de bois à la torche puis les arrose à grande eau. Attendries par la flamme purificatrice, les fibres révèlent des surfaces texturées qui parlent des ravages de ma propre expérience. Il m’en faut plus encore, alors j’intègre dans mes œuvres des os et des rebuts ramassés dans les cours de récupération. Mes mains pleines d’énergie transforment les scories de l’inconscient collectif en or.
Chère Marie-Claire, nos âmes se sont rencontrées. tes mots ont su nommer la fragilité sensible véhiculée par mon travail. tu m’as offert ton amitié et ton soutien. Je t’en suis profondément reconnaissante. tu nous as quittés, mais l’écho de ta présence résonne toujours en moi. Il me dit qu’on ne peut perdre son âme et que la mort est illusoire.
Annouchka
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
*Kuṇḍalinī est un terme sanskrit lié au yoga. Il désigne la puissante énergie vitale logée à la base de la colonne vertébrale, dont l’éveil permet le passage de l’individuel à l’universel.
Marie-Claire-Blais : une amitié
Marie-Claire Blais a écrit la préface d’Envol imaginaire, la monographie consacrée aux œuvres visuelles – peintures et illustrations – d’Annouchka Gravel Galouchko. Ce beau-livre a paru à Montréal en 1998 aux éditions Les 400 coups.
«Dans sa peinture, ses illustrations, Annouchka Galouchko nous enveloppe, avec ses couleurs chaudes, l’audace de son envol imaginaire, de la beauté mouvante du monde, le monde et ses légendes puisées à toutes les cultures, tous les pays, son inspiration se réchauffant parfois aux nuances somptueuses de l’orient. Comme Chagall qui se sert de la vitalité du folklore juif pour peindre la fable religieuse d’un tableau ou d’un vitrail, Annouchka Galouchko ressuscite le monde ancien et le nouveau en les pliant à ses propres lois de magie et d’envoûtement secret. Elle recrée l’innocence d’un paradis dont elle connaît la précarité, ce paradis toujours sur le point d’être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps, elle unit dans une même harmonie pays merveilleux, hommes et animaux longtemps séparés les uns des autres par un même exil, et dans ce paradis aux intenses chaleurs, de précieuses récoltes croissent pour les générations à venir, la vie éclate généreusement avec l’abondance des fleurs et des fruits, la végétation est, le soir, roussie par ce soleil crépusculaire des paysages d’Émile Nolde ; dans cette fable qui ravit l’œil et le surprend, nous sommes près de ces amants de Chagall frôlant dans un tourbillon de feu et de neige au-dessus de leur ville... une lune, un chat ; les amants d’Annouchka Galouchko portent sur leur cœur un oiseau, ses arbres marchent avec des corps d’hommes, leurs têtes se transforment en brasiers tendant leurs branches fécondées, les tortues, les chiens, les petits chevaux, les ânes et les colombes, les pigeons blancs envahissent les toits des maisons et la verdure des collines, un pommier peut devenir aussi un garçon noir sous un chapeau de paille..., nous sommes éblouis de féeriques images et des sortilèges de ce monde renversé »sous le trait brûlant des couleurs du peintre qui raconte aussi une histoire. [...]
Annouchka Gravel Galouchko
Lettre à Marie-Claire Blais
Contexte :
Un an avant le décès, le 30 novembre 2021, de la grande écrivaine québécoise Marie- Claire Blais, Annouchka Gravel Galouchko lui a écrit une lettre scellant à jamais leur amitié.
Entrevous a le privilège de la publier.
Chère Marie-Claire,
En contemplant certains de mes tableaux, tu as écrit pour la préface du recueil Envol imaginaire consacré à ma peinture, que mon empreinte charnelle faisait vibrer la toile; qu’aux frémissements de joie des corps vivants qui s’enlacent ou se quittent se mêlait une peur sourde, car mes sensuels danseurs au paradis dansent aussi sur un monde en feu. Que je recréais l’innocence d’un paradis dont je connaissais la précarité, un paradis toujours sur le point d’être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps. Que je peignais cette chair rouge des vivants, facilement blessée ; que je peignais ce paradis où s’enflamment les arbres, que leurs têtes se transformaient en brasiers tendant leurs branches fécondées; que je revêtais aussi d’or et de cet insoutenable bleu fondant vers le noir les anges ou les saints, comme d’errantes victimes cherchant leur parcours entre terre et ciel. Ou ce qui fut hier le paradis, pour elles.
Marie-Claire, ce n’est pas peu dire, le mot paradis pour décrire mes œuvres revient cinq fois dans ton texte poétique ! Ébranlée dès mon plus jeune âge par la souffrance du monde, je cherche à me réveiller du cauchemar collectif et à retrouver en moi ce fameux paradis dont je crois que nous avons tous la nostalgie, car au plus profond de nous-mêmes, nous y avons déjà goûté.
Petite fille, je berçais et soignais de mes tendresses enfantines un crucifix que ma famille avait rapporté de Jérusalem. En guise de prière du soir, je le bordais dans une boîte à chaussures transformée en lit douillet. Dans mon cœur d’enfant, le pauvre Christ amoché faisait tellement pitié que je me devais de le guérir et de réparer tout le mal qu’on lui avait infligé.
Je me revois jeune femme dans la vingtaine, concentrée dans la création d’un tableau. Soudainement, une puissance redoutable se réveille en moi. Au moment où mon pinceau trace un grand trait rouge sur la toile immaculée, une flèche me traverse du coccyx à la fontanelle. Ébranlée par son vrombissement le long de ma colonne vertébrale, j’ai la sensation qu’un geyser explose dans mon cerveau et se dissout, étincelant, dans l’infini du ciel. Durant ces quelques instants, je deviens un espace clair et vide.
Ce premier éveil de la kuṇḍalinī*, déclenché en plein acte de création, est si violent que mon mental s’emballe de concert avec mon cœur. Mon corps brûle et tremble de froid tout à la fois. Le souffle du dragon ouvre une brèche dans mon inconscient. Les guerres de l’humanité défilent dans le miroir de ma psyché affolée. D’intolérables scènes guerrières d’avions en flammes et de bombardement affluent dans mon esprit. Dans les pays de l’Est, je subis la crémation. En Inde, je suis l’épouse sacrifiée au bûcher. Au Moyen Âge, sorcière, je deviens torche vivante. Mon corps aspire à lui toutes les flammes du monde.
Dans cette nuit noire de mon âme de peintre, je projette mon trouble sur de très grandes toiles. Le corps nu, enduit de peinture, je m’imprime sur leur blancheur pour tenter de m’enraciner dans la matérialité. Puis dans un besoin impérieux de sentir le prix de l’effort physique, j’attaque des panneaux de bois à la torche puis les arrose à grande eau. Attendries par la flamme purificatrice, les fibres révèlent des surfaces texturées qui parlent des ravages de ma propre expérience. Il m’en faut plus encore, alors j’intègre dans mes œuvres des os et des rebuts ramassés dans les cours de récupération. Mes mains pleines d’énergie transforment les scories de l’inconscient collectif en or.
Chère Marie-Claire, nos âmes se sont rencontrées. tes mots ont su nommer la fragilité sensible véhiculée par mon travail. tu m’as offert ton amitié et ton soutien. Je t’en suis profondément reconnaissante. tu nous as quittés, mais l’écho de ta présence résonne toujours en moi. Il me dit qu’on ne peut perdre son âme et que la mort est illusoire.
Annouchka
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
*Kuṇḍalinī est un terme sanskrit lié au yoga. Il désigne la puissante énergie vitale logée à la base de la colonne vertébrale, dont l’éveil permet le passage de l’individuel à l’universel.
ANNOUCHKA GRAVEL GALOUCHKO, SON FILS SACHA Et MARIE-CLAIRE BLAIS chez l'artiste PHOTO STÉPHAN DAIGLE, 2004
ENTREVOUS •22
ENTREVOUS •22
Annouchka Gravel Galouchko et Gaston Miron : une amitié
C’est le poète Gaston Miron qui a titré l’œuvre en empruntant un vers de « Compagnon des Amériques », un poème de son recueil
En 1991 et 1992, L’homme d’Annouchka a été la mascotte du poète, pour ses spectacles La Marche à l’amour.
ENTREVOUS •22
C’est le poète Gaston Miron qui a titré l’œuvre en empruntant un vers de « Compagnon des Amériques », un poème de son recueil
En 1991 et 1992, L’homme d’Annouchka a été la mascotte du poète, pour ses spectacles La Marche à l’amour.
ENTREVOUS •22
L’homme artériel de tes gigues
Acrylique et procédés mixtes sur bois 218 cm x 76 cm, 1991
Acrylique et procédés mixtes sur bois 218 cm x 76 cm, 1991
Rapprochement : nous sommes dansés.
Avec Stéphan Daigle : une vie d’artistes
Annouchka et son conjoint Stéphan Daigle forment depuis 30 ans un couple d’artistes qui créent souvent ensemble. voici un exemple où le style graphique épuré de Stéphan rencontre l’abondance des détails et la spontanéité d’Annouchka.
Le couple a participé au festival Lumin’Art 2021 de vaudreuil- Dorion. Sur la photo in situ, la lanterne aux biches enlacées de Stéphan jouxte celle où les motifs découpés de Stéphan se superposent à un paysage d’Annouchka.
Annouchka et son conjoint Stéphan Daigle forment depuis 30 ans un couple d’artistes qui créent souvent ensemble. voici un exemple où le style graphique épuré de Stéphan rencontre l’abondance des détails et la spontanéité d’Annouchka.
Le couple a participé au festival Lumin’Art 2021 de vaudreuil- Dorion. Sur la photo in situ, la lanterne aux biches enlacées de Stéphan jouxte celle où les motifs découpés de Stéphan se superposent à un paysage d’Annouchka.
Diables ! est un conte écrit par Annouchka et illustré par Stéphan, dont la genèse est révélée en introduction : J’ai fait un drôle de rêve. C’est la nuit et je suis as- sise au milieu d’un immense escalier de marbre blanc qui n’en finit plus. Il n’y a pas un chat et il fait noir comme chez le diable. Soudain, je me rends compte que, tout en bas, dans les tréfonds, se trouve l’enfer. [...] À mon réveil, une chanson folklorique de mon enfance « Le diable est sorti de l’enfer » me trotte dans la tête...
C’est ainsi que je décide de lui inventer une suite, et comme dans mon rêve, je refuse de donner au diable le dernier mot.
Et Annouchka raconte ensuite les aventures que vécurent, au royaume de Lucifer, quatre insatisfaits de leur vie terrestre : Charles le minotier, Henriette l’avocate, Pierre le forgeron et Chloé la couturière.
ENTREVOUS •22