Automne 2005, Marie-Claire Blais en visite chez nous avec Sacha mon fils et Annouchka entourée de ses tableaux
Ce matin même, alors que je n'étais pas encore au courant du décès de Marie-Claire Blais (nous n'écoutons pas quotidiennement les nouvelles), j'ai parlé à Stéphan Daigle, mon conjoint, de Marie-Claire qui m'a toujours soutenue et encouragée dans ma vie créative.
Le cœur rempli d'émotion, j'ai dit ceci à Stéphan : dans ma galerie des personnes aimées avec lesquelles j'entre et vais entrer en conversation littéraire, il y a Marie-Claire Blais qui est la seule à être encore de ce monde. Je dois me dépêcher, car le temps file.
J'ai été à ce moment-là, saisie d'une sorte d’angoisse complètement irrationnelle. La gorge nouée j'ai dit à Stéphan : j'espère que mon projet n'est pas le dernier pas plus qu'une sorte de testament que je lègue à mes ancêtres et amis.
À l'été 2020, on sentait bien que la dame au grand cœur n'allait pas bien. Ma mère était morte quelques mois auparavant et j'avais envoyé à Marie-Claire une photo d'elle. Suite à mon envoi, Marie-Claire m'avait demandé si j'avais impression que ma maman était heureuse désormais et si je sentais qu'elle communiquait avec moi.
C’est donc maintenant que je vais entrer subtilement en conversation littéraire avec Marie-Claire et avec maman.
Marie-Claire a écrit dans cette période un très beau poème sur une image que Stéphan a créée. Cette œuvre fera partie d'une publication à venir.
J’ai illustré les trois premiers volumes de la série romanesque de Marie-Claire Blais, Soifs parue chez Boréal en 1995, Dans la foudre et la lumière, publiée en 2001, et enfin Augustino et le choeur de la destruction parue en 2005.
Je n’ai pas trouvé Marie-Claire Blais facile à lire; mais j’ai toujours bien senti que son écriture pleine de compassion remontait directement des profondeurs de ses tripes et que cela lui donnait une dimension totalement universelle. Je crois que son œuvre est plus vitale que mentale, son écriture a du cœur au ventre. Sa façon d’écrire qui faisait fi de la ponctuation répondait à son besoin essentiel, vital. Sans hara, l'homme reste prisonnier du moi égocentrique. (K. G. Dürckheim, le premier qui a fait connaitre la pratique du zen en occident.)
L’écrivaine qui se sentait des affinités avec mon travail de peintre et d’illustratrice, a écrit un très beau texte poétique en guise d’introduction pour la monographie consacrée à mon travail visuel et titrée Envol imaginaire, parue en 1998 aux éditions Les 400 coups, dans la collection Images.
Texte d'introduction de Marie-Claire Blais pour une monographie sur les oeuvres de l'artiste Annouchka Gravel Galouchko intitulée "Envol Imaginaire", publiée aux éditions Les 400 coups (1998) coll. Images
Dans sa peinture, ses illustrations, Annouchka Galouchko nous enveloppe, avec ses couleurs chaudes, l'audace de son envol imaginaire, de la beauté mouvante du monde, le monde et ses légendes puisées à toutes les cultures, tous les pays, son inspiration se réchauffant parfois aux nuances somptueuses de l'Orient. Comme Chagall qui se sert de la vitalité du folklore juif pour peindre la fable religieuse d'un tableau ou d'un vitrail, Annouchka Galouchko ressuscite le monde ancien et le nouveau en les pliant à ses propres lois de magie et d'envoûtement secret. Elle recrée l'innocence d'un paradis dont elle connaît la précarité, ce paradis toujours sur le point d'être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps, elle unit dans une même harmonie pays merveilleux, hommes et animaux longtemps séparés les uns des autres par un même exil, et dans ce paradis aux intenses chaleurs, de précieuses récoltes croissent pour les générations à venir, la vie éclate généreusement avec l'abondance des fleurs et des fruits, la végétation est le soir roussie par ce soleil crépusculaire des paysages d'Émile Nolde; dans cette fable qui ravit l'oeil et le surprend, nous sommes près de ces amants de Chagall frôlant dans un tourbillon de feu et de neige au-dessus de leur ville une lune, un chat; les amants d'Annouchka Galouchko portent sur leur coeur un oiseau, ses arbres marchent avec des corps d'hommes, leurs têtes se transforment en brasiers tendant leurs branches fécondées, les tortues, les chiens, les petits chevaux, les ânes, et les colombes, les pigeons blancs envahissent les toits des maisons et la verdure des collines, un pommier peut devenir aussi un garçon noir sous un chapeau de paille, des vers le ciel, nous sommes éblouis de féeriques images et des sortilèges de ce monde renversé sous le trait brûlant des couleurs du peintre qui raconte aussi une histoire. Dans certaines oeuvres, c'est l'empreinte charnelle de l'artiste qui fait vibrer la toile; aux frémissements de joie des corps vivants qui s'enlacent ou se quittent se mêle une peur sourde, car ces sensuels danseurs au paradis dansent aussi sur un monde en feu, et là encore je pense à ce lien sensible que partage Annouchka Galouchko avec le peintre expressionniste germanique, à cette oeuvre de Nolde où l'on voit danser des jeunes femmes sur une piste de chandelles allumées, où des silhouettes noires semblent guetter dans l'ombre les danseuses qui chantent et rient, sautant d'un pied léger au-dessus de la flamme, Annouchka Galouchko peint elle aussi cette chair rouge des vivants, facilement blessée, elle peint ce paradis où s'enflamment les arbres, et peut-être, comme Nolde, revêt-elle d'or et de cet insoutenable bleu fondant vers le noir les anges ou les saints, ou ceux que je perçois dans son oeuvre mystérieuse dont il faut déchiffrer les signes, comme d'errantes victimes cherchant leur parcours entre terre et ciel. Ou ce qui fut hier le paradis, pour elles.
Marie-Claire Blais
Le cœur rempli d'émotion, j'ai dit ceci à Stéphan : dans ma galerie des personnes aimées avec lesquelles j'entre et vais entrer en conversation littéraire, il y a Marie-Claire Blais qui est la seule à être encore de ce monde. Je dois me dépêcher, car le temps file.
J'ai été à ce moment-là, saisie d'une sorte d’angoisse complètement irrationnelle. La gorge nouée j'ai dit à Stéphan : j'espère que mon projet n'est pas le dernier pas plus qu'une sorte de testament que je lègue à mes ancêtres et amis.
À l'été 2020, on sentait bien que la dame au grand cœur n'allait pas bien. Ma mère était morte quelques mois auparavant et j'avais envoyé à Marie-Claire une photo d'elle. Suite à mon envoi, Marie-Claire m'avait demandé si j'avais impression que ma maman était heureuse désormais et si je sentais qu'elle communiquait avec moi.
C’est donc maintenant que je vais entrer subtilement en conversation littéraire avec Marie-Claire et avec maman.
Marie-Claire a écrit dans cette période un très beau poème sur une image que Stéphan a créée. Cette œuvre fera partie d'une publication à venir.
J’ai illustré les trois premiers volumes de la série romanesque de Marie-Claire Blais, Soifs parue chez Boréal en 1995, Dans la foudre et la lumière, publiée en 2001, et enfin Augustino et le choeur de la destruction parue en 2005.
Je n’ai pas trouvé Marie-Claire Blais facile à lire; mais j’ai toujours bien senti que son écriture pleine de compassion remontait directement des profondeurs de ses tripes et que cela lui donnait une dimension totalement universelle. Je crois que son œuvre est plus vitale que mentale, son écriture a du cœur au ventre. Sa façon d’écrire qui faisait fi de la ponctuation répondait à son besoin essentiel, vital. Sans hara, l'homme reste prisonnier du moi égocentrique. (K. G. Dürckheim, le premier qui a fait connaitre la pratique du zen en occident.)
L’écrivaine qui se sentait des affinités avec mon travail de peintre et d’illustratrice, a écrit un très beau texte poétique en guise d’introduction pour la monographie consacrée à mon travail visuel et titrée Envol imaginaire, parue en 1998 aux éditions Les 400 coups, dans la collection Images.
Texte d'introduction de Marie-Claire Blais pour une monographie sur les oeuvres de l'artiste Annouchka Gravel Galouchko intitulée "Envol Imaginaire", publiée aux éditions Les 400 coups (1998) coll. Images
Dans sa peinture, ses illustrations, Annouchka Galouchko nous enveloppe, avec ses couleurs chaudes, l'audace de son envol imaginaire, de la beauté mouvante du monde, le monde et ses légendes puisées à toutes les cultures, tous les pays, son inspiration se réchauffant parfois aux nuances somptueuses de l'Orient. Comme Chagall qui se sert de la vitalité du folklore juif pour peindre la fable religieuse d'un tableau ou d'un vitrail, Annouchka Galouchko ressuscite le monde ancien et le nouveau en les pliant à ses propres lois de magie et d'envoûtement secret. Elle recrée l'innocence d'un paradis dont elle connaît la précarité, ce paradis toujours sur le point d'être perdu, anéanti par les fureurs guerrières de notre temps, elle unit dans une même harmonie pays merveilleux, hommes et animaux longtemps séparés les uns des autres par un même exil, et dans ce paradis aux intenses chaleurs, de précieuses récoltes croissent pour les générations à venir, la vie éclate généreusement avec l'abondance des fleurs et des fruits, la végétation est le soir roussie par ce soleil crépusculaire des paysages d'Émile Nolde; dans cette fable qui ravit l'oeil et le surprend, nous sommes près de ces amants de Chagall frôlant dans un tourbillon de feu et de neige au-dessus de leur ville une lune, un chat; les amants d'Annouchka Galouchko portent sur leur coeur un oiseau, ses arbres marchent avec des corps d'hommes, leurs têtes se transforment en brasiers tendant leurs branches fécondées, les tortues, les chiens, les petits chevaux, les ânes, et les colombes, les pigeons blancs envahissent les toits des maisons et la verdure des collines, un pommier peut devenir aussi un garçon noir sous un chapeau de paille, des vers le ciel, nous sommes éblouis de féeriques images et des sortilèges de ce monde renversé sous le trait brûlant des couleurs du peintre qui raconte aussi une histoire. Dans certaines oeuvres, c'est l'empreinte charnelle de l'artiste qui fait vibrer la toile; aux frémissements de joie des corps vivants qui s'enlacent ou se quittent se mêle une peur sourde, car ces sensuels danseurs au paradis dansent aussi sur un monde en feu, et là encore je pense à ce lien sensible que partage Annouchka Galouchko avec le peintre expressionniste germanique, à cette oeuvre de Nolde où l'on voit danser des jeunes femmes sur une piste de chandelles allumées, où des silhouettes noires semblent guetter dans l'ombre les danseuses qui chantent et rient, sautant d'un pied léger au-dessus de la flamme, Annouchka Galouchko peint elle aussi cette chair rouge des vivants, facilement blessée, elle peint ce paradis où s'enflamment les arbres, et peut-être, comme Nolde, revêt-elle d'or et de cet insoutenable bleu fondant vers le noir les anges ou les saints, ou ceux que je perçois dans son oeuvre mystérieuse dont il faut déchiffrer les signes, comme d'errantes victimes cherchant leur parcours entre terre et ciel. Ou ce qui fut hier le paradis, pour elles.
Marie-Claire Blais
Allocution de l'autrice, Marie-Claire Blais pour le vernissage, L'Esprit de l'Oiseau, ou Icare devient Phénix au Centre d'exposition de Repentigny. Cette exposition est une invitation à entrer dans l'univers de Annouchka Gravel Galouchko et de Stéphan Daigle. L'oiseau étant un thème majeur dans leurs créations, cette exposition au Centre d'exposition de Repentigny en 2008 transporte le visiteur à travers une odyssée visuelle tout en couleurs qui appelle à la réflexion. La musique ains que la vidéo de présentation est du musicien Jacques Joly