Photo prise à la Nouvelle-Orléans (Louisiane) en 1981 par un piéton. Ce mélomane écoutait quotidiennement nos prestations dans le French quarter de New-Orleans. Il nous offrit cette photo un an plus tard alors que nous étions à nouveau de passage à la Nouvelle-orléans, comme des oiseaux migrateurs.
J'ai été bercée depuis ma plus tendre enfance par la beauté du piano de ma mère québécoise (elle enseignait le piano professionnellement), mais aussi par les résonances plus nostalgiques du piano de ma grand-mère russe paternelle et de la guitare de mon père chantant des airs tziganes russes. J’ai également grandi dans l’univers extraordinaire des musiques des disques-vinyles, véritables cadeaux du ciel qui remplissaient nos étrennes de Noël, d’anniversaires, et plus largement de notre quotidien. Ces merveilleux objets me projetaient dans l'atmosphère vibrante d'un espace grandiose de liberté et d’universelle beauté. Avec le microsillon, L'Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel (Deutsche Grammophon Gesellschaft, édition 1961, direction, Lorin Maazel) dont Colette a écrit le livret, je peux vous affirmer, sans hésiter, que cette fantaisie lyrique et enchanteresse de mon enfance a été un déclencheur extrêmement puissant dans le choix de ma carrière d'artiste-narratrice-illustratrice. L’image de l'enfant de R. Saingt en ombre chinoise sur le fond bleu nuit du jardin mystérieux illustrant la couverture de ce disque m’a tellement fait rêver petite fille que je n'ai cessé depuis de créer des univers oniriques et poétiques. Dans ma jeunesse vécue périodiquement à l’étranger, (mon père ayant des contrats de travail dans de nombreux pays), les disques vinyles ont été aussi pour moi de puissants objets de repères; surtout à l'adolescence (17 ans), époque propice aux tourmentes existentielles. En Autriche où ma famille a vécu durant deux années, les disques de groupes et de chanteurs québécois que j'avais précieusement emportés dans mes bagages m'ont énormément aidée à faire passer mon mal du pays et à m'intégrer dans le nouveau contexte socioculturel viennois très conventionnel de l'époque. Les valeurs hiérarchiques fondée sur une structure pyramidale étaient très présentes dans le fonctionnement de la société et de ses institutions académiques. Vienne, La Magnifique, au moment où nous y étions était conservatrice sur bien des points (comparativement au Québec) : 60% de sa population était âgée de plus 60 ans. Il y avait à cette époque un immense fossé entre l'ancienne génération encore imprégnée par les horreurs des deux dernières guerres mondiales et la jeunesse qui cherchait à sortir du passé et de son carcan social étouffant. En plein crise d'adolescence et ivre de liberté, J'écoutais les musiques d'Harmonium, l'Engoulevent, Les Séguin, Octobre, Beau Dommage, Diane Dufresne, Charlebois, Louise Forestier, Raoul Duguay, Le Rêve du Diable, La Bottine souriante et d'autres groupes acadiens comme Beausoleil-Broussard, 1755 (et bien d’autres encore qu'il serait ici trop long d'énumérer). Ces fidèles compagnons de route ont incarné à l'étranger, le Québec sensible, celui des racines, de la survivance d'une nation différente en Amérique du Nord, cherchant aussi à affirmer son identité et à véhiculer des valeurs fondées sur la liberté, le partage, l'égalité, la solidarité, la libre pensée. Mes nouveaux camarades du Lycée français de Vienne et de l’université de Vienne découvraient à travers ces disques, ce Québec dont j'étais si fière! Ces objets sonores, porteurs de l’âme d’un peuple, étaient de parfaits ambassadeurs, et c'est bien grâce à eux aussi que Reinhard (Golo) Goërner, mon ami autrichien qui fréquentait l'université de Vienne, vint par la suite s’installer définitivement au Québec. À Vienne, Golo faisait partie d'un petit groupe de jeunes musiciens de rue. Sur la célèbre rue piétonne, la KärtnerStrasse, je me suis parfois jointe au groupe qui excellait dans le folklore celtique. À la flûte à bec ou irlandaise, j'ai turluté des airs bretons ou irlandais, accompagnée par la guitare de Golo. C'est principalement lui qui m'a initiée aux musiques européennes inspirées du folklore (Folk Rock). Reinhard est encore aujourd’hui, un musicien qui joue régulièrement comme guitariste professionnel dans les festivals de musique Celte et Québécoise. Jeune adulte en 1979, après l'Autriche et de retour au Québec, j’ai vécu durant 5 ans avec un violoniste talentueux, Charles Kaczynski. Notre rencontre s'est faite sous l’égide de la sortie de son premier disque solo à Montréal : "Lumière de la nuit", véritable chef-d'œuvre dans lequel il chante et joue en solo une douzaine d'instruments. À cette époque, Charles Kaczynski était le premier musicien dans l'histoire musicale au Québec à se produire sur sa propre étiquette de disque (Éditions Musicales Kaczynski). Il était à la fois producteur, réalisateur, musicien, parolier, créateur de ses arrangements et voix, jouant aussi tous les instruments. L’image de la couverture de l’album encore là, me faisait rêver: c'était une œuvre très lyrique créée par son ancienne compagne et artiste peintre, Suzanne Bérubé. Je me jurais qu’un jour viendrait mon tour de créer l'image de ma propre pochette de disque. Avant de faire ma connaissance, Charles fréquentait "l'Enfanfare" (par la suite La petite fanfare ou le Pouêt-pouêt Band, aujourd'hui La Fanfare Pourpour ) un groupe de musiciens et d'artistes de la contre-culture du temps. Avec la sortie de l'album de "CONVENTUM" en 1977 "À L'affût d'un complot", dont Charles Kaczynski (Violon / Alto / Violoncelle) était membre, il a été associé au mouvement underground de l'époque comme membre d'un groupe de musique progressive. Voir article L'ULTIME ROCK PROGRESSIF DU QUÉBEC Durant nos 5 années de vie commune et bien nomade, plusieurs de mes contes que j’ai aussi illustrés ont été mis en musique par Charles Kaczynski dont Le Jardin de Monsieur Préfontaine, album jeunesse qui sera publié à Montréal quelques années plus tard aux éditions Les 400 coups. Malheureusement la superbe version musicale de Charles Kaczynski qui accompagnait en principe le livre ne sera pas publiée. Mon rêve de mettre sous forme musicale ce conte se sera tout de même réalisé lors d'une soirée magique, mais bien éphémère à Maison Trestler en 2006 : un spectacle visuel et sonore conté à partir de mes images issues de l'album jeunesse, Le Jardin de Monsieur Préfontaine, sur 25 préludes inédits, Rêveries au bord de la rivière Lena, du musicien-compositeur arménien de Moscou, Grant Grigorian, interprétées par la pianiste russe Esfir Dyachkov, dans le cadre de l'exposition Célébration des artistes Stéphan Daigle et Annouchka Gravel Galouchko. Durant les années 80, j'ai écrit plusieurs paroles de chansons (en français) pour la musique de Charles Kaczynski dont Berceuse qu'il a chanté en novembre 2014 (dans le cadre de la musique progressive au Québec) en introduction à la première de Steve Hackett (du groupe rock GENESIS) à la Salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts. Dans les années 80, du Québec à l'Europe, de La Nouvelle-Orléans au Mexique, Charles et moi avons gagné notre pain comme des troubadours, (nous ne pensions pas structurer notre carrière au sein de l'industrie culturelle) en chantant et en jouant de la musique issue du répertoire folklorique celte, québécois et français (répertoire se prêtant à la musique de rue) dans les foires et les rues piétonnières. Je jouais de la flûte à bec et chantais : Charles m'accompagnant au violon. Nous nous arrêtions parfois plus longtemps dans des villes et trouvions ainsi des contrats dans des lieux culturels officiels où nous pouvions enfin jouer nos créations. Je présentais mes textes poétiques ainsi que des contes mis en musique par Charles ainsi que des chansons. Nous présentions également des extraits du disque de Charles, Lumière de la nuit. À ces occasions nous avons joué dans de célèbres bars de La Nouvelle-Orléans, dont le Tupelo's Tavern , le Penny Post, ainsi qu'au Meaple Leaf de la Nouvelle-Orléans, nous faisions la première partie de Zacharie Richard puis dans une autre prestation, celle de BeauSoleil avec Michael Doucet. Nous avons également donné des représentations dans des maisons de la culture en 1981, 1982 et 1983 au Mexique, auThéâtre de la Maison de la Culture de San Cristobal de Las Casas ainsi qu'à Mérida à l'Agora de Fonapas, puis au Québec à la Maison Lamontagne de Rimouski ainsi qu'au Théâtre du Centre d'Art de Percé. Il y a quelques années, en assistant au splendide spectacle de Daniele Finzi Pasca, Nomade réalisé pour le Cirque Éloïze dont Charles était membre comme violoniste et compositeur de certaines pièces, j'ai vécu quelques émotions, malgré que mon vieil ami m'avait prévenue que la pièce d’ouverture, titrée Ouverture, composée et jouée par lui au violon, serait présentée. Cette pièce avait été créée autrefois spécifiquement pour l'un de mes contes, Le bûcheron de la Gaspésie. J’avais écrit les paroles sur cet air pour en faire une chanson que je chantais lors de nos spectacles. Cette merveilleuse pièce si nostalgique que nous avions tant de fois jouée dans les rues, symbolisait pour moi notre vie amoureuse et bohême des années 80, la vie nomade et pleine d'aventures incroyables que Charles et moi avions vécu dans notre jeunesse. De l’entendre revivre à la Salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts, avec une toute nouvelle narration, celle de Daniele Finzi Pasca, m’a fait prendre conscience combien j’avais encore l’immense désir de m'associer à la musique! Merci à Daniele Finzi Pasca, ta narration lyrique m'a dit ce soir-là que ce spectacle m'était dédié, et que le destin renouvelé de cette musique n'était pas le fruit du hasard! |