
C’est en lisant, en 2013, le livre de Daniel Odier, Le grand sommeil des éveillés (Les Éditions du Relié Paris) que m’est venue l’idée d’illustrer La lettre à Éléonore qui se trouve au chapitre dix de ce livre incandescent.
Éléonore est une fillette de sept ans qui dans une lettre adressée à Daniel Odier lui pose « huit questions magnifiques et essentielles que se posent tous les êtres et auxquelles ils ne reçoivent jamais de réponse directe ». (Daniel Odier, tirée de Lettre à Éléonore, page 89, chapitre 10).
Inspirée par cette lettre, je me suis identifiée à Éléonore dans son questionnement essentiel. Convaincue que cette lettre sous la forme d’un album illustré trouverait sa place dans le cœur des enfants, j’ai écrit à l’auteur qui m’a fait part de son enthousiasme; mais aussi, à son éditeur, Marc de Smedt, afin de savoir s’il m’accorderait les droits d’utilisation du texte en vue d’une publication jeunesse.
Les réponses d’une grande profondeur de Daniel Odier à Éléonore sont intimement imprégnées de sa connexion à l’Être. Elles m’ont permis de me brancher directement à ce réservoir de bonté.
J’ai entamé immédiatement le processus de création de Lettre à Éléonore en peignant sur une grande toile un univers imprégné de son contexte sensible, y mêlant celui de ma propre enfance. L’œuvre, qui n’était pas vraiment une illustration, a été présentée lors de mon exposition, LE CORPS HABITÉ, au Centre d’Exposition à Repentigny cette même année.
En 2021, en pleine pandémie, ce temps d’arrêt forcé, j’ai repris le projet de La lettre à Éléonore. J’ai sélectionné plusieurs détails du premier tableau que ce texte m’avait inspiré pour créer de nouvelles images. J’ai retravaillé celles-ci en rééquilibrant leurs couleurs, les aies peaufinées, éliminant ainsi certains éléments dramatiques qui, dans le cadre d’un album jeunesse, ne convenaient plus. J’ai transposé également certains détails d'une image à l'autre, bref un véritable travail d'intégration et de recréation. Six nouvelles images sont nées de cette démarche singulière. J’ai également fait un travail éditorial en me permettant d’élaguer certains passages du texte afin de le rendre plus accessible, tout en gardant l’essentiel de son propos.
Tableau ayant servi à la création de six illustrations de l'album Lettre à Éléonore
L’intérêt pour mon travail manifesté par les Éditions du Relié, dont la mission est celle de promouvoir des livres qui relient à l’essentiel, a permis à ma marginalité de trouver un terreau fertile dans lequel mes œuvres ont pu se développer pour éventuellement essaimer.
Ma jeunesse passée dans divers pays, mon approche sensible de peintre et mon talent de conteuse font en sorte que les illustrations que je sais créer touchent de façon toute particulière un public sans frontières et assoiffé de beauté et de sens.

Illustration tirée de l'album Lettre à Éléonore
Au cours de ma carrière d’illustratrice, mon travail a toujours interrogé le sens profond de notre existence. Mes images qui distillent plusieurs niveaux de lecture s’adressent tant aux enfants qu’aux adultes. En guise d’exemples, je ne citerai ici que deux titres : Shõ et les dragons d’eau (Annick-Press, Toronto, Prix du Gouverneur Général du Canada), Les cerfs-volants ensorcelés (Leméac, Montréal) que j’ai écrits et illustrés et qui sont le fruit de mon parcours réflexif et philosophique. Ils sont un hommage au maître Zen, aujourd’hui décédé, qui m’a enseigné de 1989 à 2000. Son héritage demeure encore pour moi une source d’inspiration. Le directeur des Éditions du Relié, Marc de Smedt a lui aussi suivi un maître zen, Taïsen Deshimaru, durant une dizaine d’années. Bien avant de connaître cet éditeur qui aussi auteur, journaliste et enseignant de méditation, j’ai longtemps vécu en compagnie de sa « famille de cœur », les livres de sa collection Spiritualités vivantes chez Albin Michel. Ma bibliothèque abritait de nombreux ouvrages qu’il avait publiés sur le zen.